Cher Mgr le Prévôt, cher Jean-Pierre, chers confrères, chers frères et sœurs,

 

Cette fête de saint Bernard prend place au cours du grand Jubilé de l’espérance de cette année sainte universelle 2025. L’espérance n’est pas pour nous une idée vague sortie de notre imagination ou un rêve pour nous faire supporter tant bien que mal les épreuves de cette vie, mais elle est une personne réelle et vivante : le Christ Jésus. Et l’évangile que nous venons d’entendre du jugement sur la charité en actes nous promet le Royaume éternel en récompense pour la charité mise en œuvre envers l’homme fragilisé auquel s’identifie le Christ lui-même : « Recevez en héritage le Royaume préparé pour vous depuis la fondation du monde… car ce que vous avez fait à l’un de ces petits qui sont mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait » (Cf. Mt 25, 31-40). Pour cela, le Seigneur Jésus, selon saint Paul que nous avons entendu, met lui-même en nous, dans nos cœurs, « la ferveur de l’Esprit et la joie de l’espérance » (cf. Rm 12, 6-13), afin que nous pratiquions les œuvres de miséricorde spirituelles et matérielles, et l’hospitalité, comme le grand saint Bernard l’a initié ici-même.

 

Au cœur de ce Jubilé 2025, nous faisons mémoire du grand concile œcuménique de Nicée, qui a rappelé et défini notre foi essentielle en la divinité du Christ Jésus, « de la même substance » que le Père, son Fils égal à lui et aussi fait chair et pour cette raison vraiment homme, « vrai Dieu et vrai homme » (concile de Chalcédoine), et nous n’avons pas fini d’en méditer l’importance. Car il ne s’agit pas là de réflexion purement intellectuelle ou universitaire, il s’agit de la vraie nature du Seigneur Jésus selon la foi. En lui, Dieu lui-même vient vraiment à notre rencontre et nous pouvons le toucher réellement, et en lui aussi, nous rencontrons la grandeur et la dignité de tout homme, qu’il vient restaurer. Il nous appelle d’une part à œuvrer pour la dignité de toute personne humaine, et d’autre part il nous invite à participer à la puissance de son amour divin.

 

Dès l’antiquité romaine, les chrétiens se sont distingués parce qu’à la différence de beaucoup, ils offraient aux pauvres, aux étrangers, aux personnes marginalisées, de l’attention pour leur personne, de l’aide concrète et de l’affection. Comme le disait le pape François dans sa belle encyclique sur l’amour humain et divin du Cœur du Christ, « s’identifiant aux derniers de la société, Jésus a apporté la grande nouveauté de la reconnaissance de la dignité de toute personne... Ce principe nouveau dans l’histoire de l’humanité, selon lequel les êtres humains sont d’autant plus “dignes” de respect et d’amour qu’ils sont plus faibles, plus misérables et plus souffrants, a changé la face du monde » (Dilexit nos, 170).

 

            Voilà, frères et sœurs, notre premier devoir, primordial, impérieux : par nos actes de miséricorde et par notre regard sur toute personne quelle qu’elle soit, à commencer par les plus fragiles, considérer, aimer, servir la personne elle-même, pour contribuer à rendre sa dignité à tout homme. Cette dignité est inaliénable, mais elle est si souvent bafouée, niée, défigurée. Les nouvelles nous apprennent quasiment chaque semaine une guerre nouvelle, avec son lot de victimes, de souffrances que l’on ne peut voir, mais il y a aussi tant de blessures non vues ni dites dans les familles, les existences humaines, les parcours de vie. On pourrait désespérer si l’on ne croyait pas à la présence du Christ et à l’espérance qu’il nous offre. Car servir la dignité de toute personne humaine, c’est aussi servir Dieu lui-même dans son image vivante qu’est l’homme, c’est contempler, aimer et servir le Christ lui-même, vrai Dieu et vrai homme, qui s’identifie aux laissés pour compte.

 

            Il nous faut alors aller plus loin, pour réaliser que le Seigneur Jésus nous offre son propre amour divin, passant par son Cœur humain pour nous rejoindre et nous toucher, et pour nous permettre de participer à la puissance restauratrice de son amour, source de notre espérance. L’hospitalité, les œuvres de miséricorde tant matérielles que spirituelles, non seulement restaurent la dignité de la personne humaine, mais, vécues dans et pour l’amour de Dieu, participent à la puissance créatrice et recréatrice de Celui qui a tout fait par amour et recrée tout par la puissance de son amour.

 

            Le pape François, dans son encyclique sur l’amour du cœur du Christ, nous invite à développer « cette forme de réparation qui consiste à offrir au Cœur du Christ une nouvelle possibilité de répandre en ce monde les flammes de son ardente tendresse… Cela se traduit par des actes d’amour fraternel par lesquels nous guérissons les blessures de l’Église et du monde. De cette manière, nous offrons de nouvelles expressions de la puissance restauratrice du Cœur du Christ » (Dilexit nos, 200).

 

            Nous sommes donc, frères et sœurs, invités et entraînés à aller plus loin, à participer davantage, comme baptisés, comme consacrés, comme prêtres, à la Passion du Christ. Nous pouvons offrir à cette œuvre de réparation, de restauration, objet de notre espérance, notre pauvre, humble, mais réelle participation au sacrifice du Christ : « les renoncements et les souffrances, dit encore le pape François, qu’exigent ces actes d’amour pour le prochain nous unissent à la Passion du Christ… Seul le Christ nous sauve par le don de Lui-même sur la Croix, seul il rachète… La réparation que nous offrons est une participation que nous acceptons librement à son amour rédempteur et à son unique sacrifice » (Dilexit nos, 201).

 

            C’est ce à quoi tend le témoignage des saints, le témoignage de saint Bernard, c’est ce qui en fin de compte est décisif pour eux, c’est que qu’ils recherchent par-dessus-tout : nous offrir avec le Christ, participer pleinement à la charité qui brûle son Cœur, à son amour qui sauve et restaure l’homme et qui nous unit tous dans le Christ. Que saint Bernard et tous ceux qui à sa suite ont pratiqué cela ici à l’hospice depuis tant de siècles nous y encouragent et nous y aident. Amen.

 

+ Hugues PAULZE d’IVOY

Abbé général

Abbaye St-Pierre de Champagne/Rhône

Chanoines réguliers de Saint-Victor